Article paru sur le site de Dial le 13/12/2019
Géraldine Duquenne
vendredi 13 décembre 2019, mis en ligne par Géraldine Duquenne
La semaine du 18 novembre 2019, quatre représentant·e·s de la société civile péruvienne sont venu·e·s à Bruxelles pour dénoncer les violations des droits humains liées aux activités minières au Pérou. Criminalisation de la protestation sociale, impacts sur la santé, violences policières ou encore absence de consultation des populations, les défenseur·se·s des droits humains tirent la sonnette d’alarme. Face à cette situation, l’Union européenne et la Belgique ne peuvent rester indifférentes.
L’économie du Pérou repose fortement sur l’exportation de matières premières (principalement de minerais) et ce modèle n’a pratiquement pas changé depuis près de 30 ans. Au contraire, pour compenser la baisse des prix des minerais en cours depuis 2013, les entreprises ont intensifié leur production. Près de 60% des exportations péruviennes sont des minerais, principalement du cuivre et de l’or qui sont exploités dans des vastes mines à ciel ouvert. Signalons que selon les chiffres officiels de 2019 de la SUNAT , l’administration fiscale du Pérou, la Belgique importe différents minerais péruviens : du plomb, du zinc et de l’argent.
Corruption et cadeaux fiscaux
Les entreprises qui opèrent au Pérou bénéficient de conditions fiscales très avantageuses. Julia Cuadros de l’ONG Cooperaccion dénonce par exemple le système de la « double dépréciation » qui permet aux entreprises de commencer à payer des impôts à partir du moment où elles ont récupéré tous leurs investissements. « C’est absurde et ce système ne s’arrête jamais car l’entreprise effectue sans cesse de nouveaux investissements. Dans le cas de la mine Tintaya, l’entreprise a commencé à payer des impôts 3 ans avant la fermeture de la mine ! ». En plus de cela, Julia Cuadros déplore le système des « portes giratoires » qui désigne la proximité entre sphère politique et sphère des entreprises : « Les gérants d’une mine se retrouvent à des postes politiques puis retournent travailler dans l’entreprise, c’est comme ça que ça fonctionne ».
La corruption est le motif principal de la crise politique que connaît le Pérou actuellement. Le président Martin Vizcarra, successeur de Pedro Pablo Kuczynski limogé pour corruption en mars 2018, a dissout le congrès en octobre 2019 et appelé à des élections anticipées qui auront lieu en janvier 2020. Cette décision résulte d’une motion de confiance déposée par le Président sur une procédure d’élection fort peu transparente des magistrats du Tribunal constitutionnel, qui ne fut pas suivie par le Congrès, à dominance fujimoriste. Depuis sa prise de fonction, Vizcarra a tenté de mener des réformes contre la corruption mais n’a cessé d’être bloqué par le parti fujimoriste du Congrès. Les élections sont fort attendues par la population péruvienne qui espère voir disparaître la classe politique corrompue.
Cette instabilité politique a des conséquences sur les mouvements citoyens qui réclament le respect de leurs droits. « Depuis décembre 2017, les ministres de la santé, de l’environnement, des transports ou encore de l’énergie et des mines ont changé plusieurs fois. Les citoyens doivent chaque fois repartir de zéro dans leur lutte » explique Julia Cuadros. En octobre 2019, le Pérou comptabilisait 187 conflits sociaux et la majorité de ces conflits sont dus à des raisons socio-environnementales, principalement en lien avec des projets miniers.
Le cas du conflit de Las Bambas
Virginia Pinares est une défenseuse des droits humains de la région d’Apurimac, province de Cotabambas, du district Haquira. Elle a fait partie du Front de défense et de développement de Cotabambas ainsi que du Comité de lutte contre le projet Las Bambas. Ce projet, inauguré en 2016, est la plus grande exploitation de cuivre du Pérou, et l’une des 10 plus grandes au monde. En raison de changements dans l’étude d’impact environnemental , la population a demandé à maintes reprises des explications qu’elle n’a jamais reçues. Grâce au mécanisme ITS créé par l’État en 2013, l’entreprise chinoise MMG a pu réaliser des changements qualifiés selon elle de mineurs, en 15 jours et sans participation citoyenne. Parmi ces changements, l’entreprise a notamment modifié le mode de transport des minerais initialement prévu : le minéroduc a été abandonné au profit du transport routier. 300 camions traversent ainsi 170 communautés chaque jour depuis le début du projet sur une route non asphaltée provoquant des poussières contaminant les cultures et les animaux mais aussi des nuisances sonores et des accidents.
Ces changements ont provoqué la colère de la population qui, ne recevant aucune explication, a protesté publiquement en 2015. Au lieu de privilégier le dialogue, l’État a déployé la police et l’armée pour stopper ces manifestations. Le bilan de ce conflit est de 3 morts, une trentaine de blessés et une centaine de leadeur·se·s sociaux poursuivi·e·s en justice.
Les contestations se poursuivent encore aujourd’hui à Las Bambas principalement contre les nuisances dues au passage des camions. Si initialement l’entreprise avait prévu de payer une redevance aux communautés pour l’usage de la route, l’État a finalement décrété que la route serait considérée comme une route nationale, privant ainsi les communautés des taxes promises.
Criminalisation de la contestation sociale
Virginia Pinares fait partie des personnes ayant manifesté pacifiquement en 2015. Elle fait l’objet d’une enquête judiciaire depuis 4 ans pour avoir bloqué une route et pourrait encourir jusqu’à 11 ans de prison. « Nous voulons vivre dans un environnement sain, que nos droits soient respectés mais la loi péruvienne ne nous protège pas » explique Virginia.
David Velazco, avocat des personnes poursuivies dans le cadre du conflit de Las Bambas, regrette que les défenseur·se·s des droits humains soient criminalisés au lieu d’être l’objet d’une protection particulière. « On peut observer trois expressions de cette criminalisation : la répression brutale, les campagnes médiatiques pour délégitimer la contestation et l’instrumentalisation du droit pénal ».
Lors de l’émergence d’un conflit, l’État va rapidement déployer l’armée et la police pour réprimer les manifestations pacifiques par la force . Il est fréquent que des personnes soient blessées ou trouvent la mort dans ces affrontements. Aussi, l’État va avoir recours aux déclarations d’état d’urgence de façon répétée pour priver les communautés de leurs libertés individuelles. Cela implique que les personnes risquent la prison pour s’être réunies en groupe de 3 personnes ou plus, ou encore que la police peut s’introduire au domicile des personnes sans autorisation préalable. La société civile dénonce aussi que les entreprises puissent employer les forces de police publiques pour leur service de sécurité. Il s’agit d’une privatisation de la police par les entreprises. « Quand la police présente dans les manifestations reçoit l’ordre de tirer, on ne sait jamais qui est à l’origine » explique Julia Cuadros. Dans la continuité de cette norme, un décret a été approuvé en 2018 sur la protection des « actifs critiques nationaux », c’est-à-dire des « biens juridiques jugés essentiels pour maintenir les capacités nationales ». Cela renvoie à l’obligation de l’État de protéger ses intérêts. Parmi ces actifs critiques se retrouvent des projets miniers, pétroliers, des barrages hydroélectriques, etc. S’il s’avère que ces projets sont « menacés », l’État peut envoyer les forces armées pour les protéger. Les entreprises reçoivent donc un service de sécurité gratuit grâce aux impôts des citoyens qui subissent souvent les impacts négatifs de ces projets.
L’instrumentalisation du droit pénal signifie que les autorités publiques vont interpréter les lois pour attaquer les défenseur·se·s des droits humains. Elles vont ainsi qualifier tout acte légitime de protestation en infraction pénale. Les organisations communautaires sont ainsi désignées comme organisations criminelles et leurs membres peuvent être enfermés jusqu’à 15 jours en détention provisoire. La peine encourue pour ce type de délit a augmenté en 2016 passant ainsi de 8 ans à 15 ans de prison. Les délais de détention préventive ont été globalement flexibilisés. La police se voit également davantage protégée en cas de lésion commise à autrui. Une loi émise en 2019 empêche aujourd’hui les organes judiciaires de placer en détention préventive les policiers suspectés de violences policières. Aussi, les policiers ou forces armées qui causent des blessures ou la mort dans l’exercice de leur fonction constitutionnelle sont exempts de responsabilité pénale. C’est-à-dire que si un policier tue quelqu’un dans une manifestation, il ne sera pas poursuivi.
Les femmes encore plus fragilisées
Dans ce contexte d’inégalités de traitement devant la loi et de criminalisation des défenseur·se·s des droits humains, les femmes se retrouvent dans une situation encore plus précaire. En tant que femmes dans une société patriarcale, elles sont peu associées aux processus de décisions collectives et sont plus largement discriminées. Les chiffres montrent davantage d’agressions violentes à l’égard des femmes dans les zones minières. On observe aussi le développement plus important de la prostitution lorsqu’une mine se développe quelque part.
De plus, l’arrivée d’une mine génère une hausse des prix des produits dans la région. Les femmes sont donc obligées de trouver des petits travails complémentaires pour pouvoir continuer à acheter les biens de première nécessité et assurer le bien-être de leur famille. Les activités extractives et l’appropriation de ressources qu’elles supposent (terre, eau, etc.) impactent principalement les femmes qui se chargent de préserver ces ressources indispensables à leurs activités quotidiennes et au maintien de la famille.
Virginia Pinares explique enfin que « quand la mine s’en ira, elle laissera les impacts derrière elle. Les hommes iront chercher du travail ailleurs et nous resterons, nous les femmes, à nous occuper des enfants et à assurer les tâches domestiques et les activités agricoles ».
De l’urgence de prioriser les droits humains
« Nous vivons tous de l’eau, de l’air. La terre nous donne à manger mais pas l’or. Qu’est-ce qui est premier ? » questionne Virginia Pinares. Les communautés expliquent ne pas défendre le territoire et l’environnement pour elles-mêmes mais pour toutes et tous.
Si cette analyse s’est concentrée sur la criminalisation des défenseur·se·s des droits humains, il est important de signaler que ce n’est pas le seul impact des activités extractives. La flexibilisation environnementale en cours depuis 2013 au Pérou à travers des normes et lois qui diminuent les standards environnementaux facilite l’implantation de projets extractifs et affaiblit la voix des communautés. Les impacts sociaux et environnementaux des mines sont dramatiques pour les communautés. Le Ministère de la santé péruvien a reconnu que plus de 7000 personnes étaient contaminées par des métaux lourds au-delà des taux admis par l’OMC. Mais aucune mesure concrète n’a encore été mise en place.
Pour Justice et Paix, il semble essentiel que la Belgique et l’Union européenne soient beaucoup plus fermes vis-à-vis des politiques répressives du Pérou. D’autant plus que la Belgique, tout comme de nombreux pays de l’Union européenne, importe ces minerais péruviens. La pression sur les pays producteurs de ressources minières risque d’augmenter dans le futur, notamment car les minerais sont des composants essentiels des nouvelles technologies et technologies vertes qui ont envahi nos vies. Il est urgent pour l’Union européenne de se questionner sur les conditions d’extraction de ces métaux et les impacts sur les populations environnantes. Et de ne pas accepter que ses importations soient entachées de violations des droits humains.